Allocution du Président de la Commission de l'Union africaine, S.E. M. Moussa Faki Mahamat, à l'ouverture du Forum de haut niveau de Tana sur la Sécurité en Afrique
Allocution du Président de la Commission de l'Union africaine, S.E. M. Moussa Faki Mahamat, à l'ouverture du Forum de haut niveau de Tana sur la Sécurité en Afrique
Excellences, Messieurs Chefs d’Etat et de
Gouvernement,
Excellences Messieurs les Anciens Chefs d’Etat et de gouvernement,
Mesdames Messieurs les Ministres,
Chers Amis Enseignants –chercheurs,
Chers participants,
Mesdames Messieurs,
« Une minute de silence en la mémoire de Maman Winnie Mandela, cette grande combattante de la liberté ».
J’ai plaisir à être ici dans cette belle cité de Bahir Dar pour prendre part au Forum de Tana sur la sécurité en Afrique, au bord du Lac Tana où prend naissance le Nil bleu qui irrigue une bonne part de l’Afrique y compris le désert.
Ma satisfaction est d’autant plus grande que ce Forum, qui rassemble des intelligences venues d’horizons divers, constitue un temps fort et attendu dans l’analyse des préoccupations africaines en matière de paix et de sécurité.
Le thème retenu pour l’édition de cette année, à savoir « l’appropriation de la promotion de la paix et de la sécurité en Afrique – la réforme de l’Union africaine », est d’autant plus pertinent que le géant potentiel qu’est le continent commence enfin à se réveiller.
Réveil politique qu’atteste le souci d’une plus grande prise en main de son destin, et qui a trouvé sa traduction dans l’Agenda 2063.
Réveil institutionnel qu’illustre la réforme en cours de l’Union africaine pour en faire un outil à même de porter les ambitions qui sont les nôtres.
Réveil économique dont témoigne l’accélération récemment imprimée à l’entreprise d’intégration continentale, à travers notamment l’adoption et la signature de l’Accord sur la Zone africaine continentale de libre-échange.
Pendant ces deux jours, nous engagerons une réflexion qui sera, j’en suis sûr, féconde sur l’ensemble des dimensions de la problématique de la paix et de la sécurité en Afrique. Il nous faudra, dans ce contexte, identifier des pistes susceptibles de renforcer encore davantage l’appropriation continentale, y compris dans sa dimension financière, tant il est vrai que les seules réponses viables aux défis auxquels nous sommes confrontés seront endogènes.
Le Forum de Tana offre une plateforme privilégiée pour ce faire. Il s’agit ici d’aider à bâtir une nouvelle pensée africaine sur les questions de paix et de sécurité, pensée évidemment enrichie des leçons tirées du parcours d’autres parties du globe et de savoirs accumulés ailleurs.
Nous avons le privilège de bénéficier de la sagesse et de l’expérience d’anciens chefs d’Etat et de Gouvernement, dont la réflexion sur les enjeux de l’heure se nourrit de leur pratique du pouvoir, mais aussi de celles de dirigeants en exercice, qui gouvernent dans un environnement on ne peut plus complexe. Qu’il suffise ici de relever les fortes attentes de notre jeunesse, qui rêve légitimement d’un avenir qui soit à la hauteur des immenses ressources du continent, et la révolution digitale, qui a induit une circulation plus rapide de l’information, renforçant ainsi la capacité d’expression des gouvernés et leur désir de participer plus effectivement à la gestion des affaires publiques.
Mesdames Messieurs,
Pour l’Afrique, l’appropriation de la quête de la paix et de la sécurité est un impératif.
Cette appropriation est un impératif d’efficacité. Il ne peut y avoir de solutions exogènes qui puissent être durables, de solutions importées qui puissent être appliquées aveuglément à des situations autres que celles qui les ont vu naître.
L’expérience n’a que trop montré la vanité des solutions qui ignorent les contextes dans lesquels elles sont censées être mises en œuvre.
Cette appropriation est aussi un impératif si nous voulons trouver des réponses novatrices à certains des défis que connaît le continent.
Qu’il s’agisse de la problématique de la justice et de la paix et des modalités de leur articulation dans des sociétés sortant de conflits, de la promotion du principe de non-indifférence et de la prévention de crimes de masse ou de la mutualisation d’efforts et de ressources pour combattre le fléau de l’extrémisme violent et du terrorisme, l’Afrique a été et reste un laboratoire de créativité, qui s’emploie à conjuguer fidélité aux principes universels et pragmatisme à travers la prise en compte de la spécificité et de la complexité des situations à traiter.
De façon plus spécifique, l’appropriation au service de laquelle nous œuvrons repose sur trois aspects.
Premièrement, elle postule que les acteurs africains soient au-devant des efforts de promotion de la paix et de la bonne gouvernance sur le continent. La communauté internationale peut aider, mais elle ne peut se substituer à l’Afrique.
Nous devons ici garder à l’esprit que les solutions non-africaines ne sont jamais dépourvues d’à priori idéologiques et culturels. S’y ajoute le fait que ces dernières répondent à des intérêts qui ne sont pas nécessairement ceux de l’Afrique.
Deuxièmement, l’appropriation implique que nous, Africains, ayons le courage politique et la lucidité nécessaires pour identifier et reconnaître nos difficultés et prendre les mesures qu’elles appellent.
A travers ce constat se trouve posé, dans toute sa nudité, la problématique de la prévention des conflits. Il arrive que, dans des situations de crise, nos Etats membres se montrent réticents à toute action de l’Union africaine et de ses Mécanismes régionaux pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Parce que les problèmes ne sont pas traités à temps, ils finissent par s’aggraver, débouchant sur des conflits violents qui ouvrent la voie à toutes sortes d’ingérences non-africaines.
Troisièmement, et de façon connexe, l’appropriation et le principe sous-jacent de recherche de solutions africaines aux problèmes africains postulent que l’Afrique, à travers ses institutions compétentes, analyse elle-même, de façon approfondie, les défis qu’il s’agit de relever. Nous devons systématiser cette démarche, pour nous donner les moyens intellectuels du combat pour la paix. De ce point de vue, les chercheurs et universitaires africains ont un rôle crucial à jouer.
Mesdames Messieurs,
Il ne peut y avoir de véritable appropriation que si l’Afrique se dote d’institutions solides disposant des moyens requis pour l’exécution de leurs mandats.
De ce point de vue, la mise en place de l’Architecture africaine de paix et de sécurité a marqué un important jalon. Depuis l’entrée en vigueur du Protocole créant le Conseil de paix et de sécurité, il y a de cela près de quinze ans, le continent a clairement fait preuve d’un plus grand dynamisme dans le traitement des questions de paix et de sécurité.
Les opérations entreprises en Somalie, dans le Bassin du Lac Tchad et dans la région du Sahel témoignent de cette détermination à faire face aux défis sécuritaires que connaît l’Afrique. Des réponses novatrices ont été articulées qui reposent sur le déploiement de missions dotées de mandats robustes dans le cadre d’arrangements continentaux ou régionaux. Ceux-ci attestent la flexibilité de l’Architecture africaine de paix et de sécurité et son adaptabilité à la nature changeante des problèmes qui nous interpellent sur le terrain.
Des sacrifices immenses ont été consentis par les pays impliqués dans ces opérations. Même si beaucoup reste encore à faire, les résultats obtenus sont appréciables.
L’Afrique est également active sur le terrain de la prévention des conflits et de la médiation. En différentes parties du continent, des initiatives, plus moins connues, sont en cours pour éviter que des tensions latentes ne dégénèrent en crises ouvertes, accompagner des processus politiques et électoraux complexes et faciliter le règlement de conflits.
En clair, jamais le continent n’a été aussi actif dans ses efforts de promotion de la paix.
Mais nous devons faire plus. D’autant que nos dirigeants se sont fixés pour objectif ambitieux d’en finir avec les conflits et les guerres à l’horizon 2020.
En particulier, nous devons assurer le financement de nos efforts de paix.
En effet, notre capacité d’action dans la prévention, la gestion et la résolution des crises et conflits dépend non seulement de la performance des différentes composantes de notre Architecture de paix et de sécurité, mais aussi de la disponibilité des ressources financières requises. Il s’agit là d’un préalable incontournable pour une réelle et authentique liberté d’action de l’Union africaine.
Aussi longtemps que cette condition n’aura pas été remplie, le slogan de « solutions africaines aux problèmes africains» aura une portée limitée, le panafricanisme, moteur et boussole de notre action, sera vidé de son âme.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le volet financier de la réforme institutionnelle de notre Union. Je me réjouis de ce que plus de vingt pays appliquent déjà la taxe de 0,2% sur les importations éligibles qui devrait nous permettre, à terme, de financer l’essentiel de nos programmes et une part significative de notre agenda pour la paix.
Treize pays prélèvent déjà cette taxe. Ainsi 41,6 millions de dollars ont été versés dans le Fonds pour la paix, l’objectif étant pour l’année en cours d’atteindre un montant de 65 millions de dollars. Il s’agit du niveau de contribution le plus élevé jamais atteint pour le Fonds pour la paix depuis sa création en 1993.
A l’évidence, l'utilisation qui sera faite des ressources du Fonds pour la paix et la transparence des mécanismes de reddition des comptes rassureront les uns et les autres sur le bien-fondé de la nouvelle dynamique en cours.
En parallèle, nous travaillons à une meilleure articulation des rôles respectifs de l’Union africaine et des Mécanismes régionaux dans la promotion de la paix et de la sécurité.
L’efficacité de l’Architecture africaine de paix et de sécurité est intimement liée à l’établissement d’une relation de complémentarité et de féconde synergie entre les niveaux continental et régional. Des consultations sont en cours à cet effet, pour éliminer les doubles emplois et les chevauchements de toutes sortes qui plombent notre action collective.
Mesdames Messieurs,
Les efforts ainsi déployés en vue d’une plus grande appropriation de l’entreprise de paix sur le continent doivent aller de pair avec une synergie plus étroite avec nos partenaires internationaux.
Dans le processus de réforme et d'affirmation de notre indépendance financière, leur rôle ne doit être ni minoré, ni négligé. L'indépendance signifie un engagement constructif avec les différentes parties prenantes intéressées par l'Afrique sur un pied d'égalité.
En d’autres termes, la relation avec les partenaires doit s’inscrire dans une dynamique d’accompagnement et non de substitution. Elle doit être fondée sur le respect des priorités du continent et de ses approches, ainsi que de la souveraineté de ses États membres.
Dans cette relation, il n’y a de place ni pour les admonestations ni pour les ingérences. L’Afrique est maîtresse de son destin: c’est à elle de déterminer la voie la plus idoine pour la réalisation des ambitions qui sont les siennes.
De ce point de vue, je voudrais me féliciter de la conclusion du Protocole d’accord de coopération en matière de paix et de sécurité entre les Nations unies et l’Union africaine en avril 2017. Celui-ci pose les jalons d’une division plus claire des responsabilités et d’une coordination plus étroite des efforts au service de la promotion durable de la paix et de la sécurité sur le continent.
S’agissant plus spécifiquement des opérations africaines de soutien à la paix, nous travaillons à assurer une plus grande synergie entre l’Union africaine et les Nations unies.
L’Afrique compte le plus grand nombre de missions de paix comparativement aux autres régions du monde.
L’efficacité de ces missions, comme je n’ai cessé de le répéter, est aujourd’hui sujet à caution.
Une analyse objective de l’évolution du monde amène à constater que le mécanisme de sécurité collective mis en place après la Deuxième Guerre mondiale a montré ses limites. Il semble dépassé par les réalités d’un monde qui se complexifie de jour en jour. Dans la plupart des cas, les conflits ne sont que rarement interétatiques. Ils sont devenus, pour la plupart, des conflits intra-étatiques, des guerres civiles internationalisées.
Les formes nouvelles de violence que sont le terrorisme, le radicalisme religieux, les trafics d’êtres humains, le commerce illicite de la drogue et des armes, ainsi que la résurgence de la piraterie maritime, appellent de nouveaux modes de pensée stratégique et de conduite opérationnelle. Les théories et approches classiques doivent, de ce fait, être revisitées pour élaborer de nouvelles, mieux adaptées aux réalités d’un monde en perpétuelle mutation.
Comme vous les savez, les opérations de maintien de la paix des Nations unies sont déployées lorsque des conditions minimales politiques et sécuritaires sont réunies. Elles ont vocation à appuyer la consolidation de la paix retrouvée.
Les évolutions intervenues ces dernières années sur le continent montrent que cette approche n’est pas toujours adaptée. A moins d’abdiquer ses responsabilités, la communauté internationale ne peut renoncer à toute action opérationnelle au motif que les conditions minimales requises manquent à l’appel.
C’est ici que se situe la valeur ajoutée des opérations africaines de soutien à la paix. Celles-ci sont déployées dans des contextes où la ligne qui sépare la paix de la guerre est des plus floues. Leur rôle est de conforter les efforts des acteurs engagés en faveur de la paix et de neutraliser au besoin les fauteurs de troubles, qu’il s’agisse de groupes armés ou terroristes.
Or, malgré nos efforts nous ne pouvons, pour le moment, assurer complètement le financement de ces opérations. Elles ont besoin d’un soutien international significatif, comme le montrent les exemples de l’AMISOM en Somalie, de la Force multinationale mixte dans le Bassin du Lac du Tchad ou de la Force conjointe du G5 Sahel.
Dans ces situations, le Conseil de sécurité des Nations unies doit assumer pleinement la responsabilité première qui est la sienne en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationale, et ce en autorisant le recours aux contributions mises à recouvrement pour le financement des opérations de soutien à la paix entreprises avec son consentement.
Je forme l’espoir que les efforts engagés à cet effet par l’Union africaine, avec l’appui du Secrétariat des Nations unies et de membres importants de la communauté internationale, aboutiront dans des délais pas très lointains.
Nous œuvrons également au renforcement de notre partenariat avec d’autres acteurs internationaux.
A cet égard, nous nous proposons de signer à la fin du mois de mai prochain, à l’occasion de la réunion entre la Commission de l’Union africaine et la Commission européenne, un Accord de coopération en matière de paix et de sécurité. Celui-ci permettra de formaliser la relation déjà dense existant entre nos deux institutions.
L’Union européenne, en matière de paix et de sécurité notamment, a été et demeure un partenaire exemplaire de l’Union africaine. Nous tenons à le souligner et à proclamer notre ferme volonté de renforcer cet héritage pluri-décennal que le Sommet d’Abidjan a contribué à amplifier.
Mesdames Messieurs,
La réalisation de paix et de la sécurité en Afrique ne peut être dissociée de l’environnement international. Il ne peut y avoir de paix en Afrique que si le système multilatéral fonctionne effectivement, sur des bases consensuelles et équitables.
Je ne peux m’empêcher de relever que le multilatéralisme traverse une profonde crise et ce, dans un contexte marqué par l’émergence de nombreux foyers de tension, ainsi que par de nouvelles formes de violences terroristes, de radicalisme, de guerres civiles.
La situation est d’autant plus préoccupante que les rivalités entre les grandes puissances, celles qui disposent du droit de veto au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies, semblent plus fortes que jamais, faisant peser de graves menaces sur la paix mondiale. Les défis qui interpellent la communauté internationale appellent la coopération plutôt que la compétition, la solidarité plutôt que l’égoïsme.
Dans ce contexte, l’Afrique ne saurait rester observatrice, sans voix, sans influence. Toute attitude statique de sa part équivaudra, tôt ou tard, à l’approfondissement de sa marginalisation, à sa fragilisation.
Aussi appelons-nous à la revitalisation du multilatéralisme et au respect des institutions multilatérales. Celles-ci, notamment les Nations unies, offrent les cadres les plus appropriés pour trouver des réponses consensuelles aux défis auxquels nous sommes confrontés.
Cet engagement en faveur du multilatéralisme doit être sous-tendu par le respect scrupuleux du droit international. Celui-ci ne peut faire l’objet d’interprétations à la carte, particulièrement s’agissant du recours à la force, qui relève de la prérogative exclusive du Conseil de sécurité. La paix mondiale est à ce prix.
Mesdames Messieurs,
Les progrès accomplis par l’Afrique sur la voie de l’unité et de l’intégration sont substantiels. Ils demeurent cependant fragiles à bien des égards. Pour les renforcer, il n’y a qu’une voie, une seule, notre unité. Et comme le dit l’adage bien connu: «United we stand; divided we fall».
L’Afrique est intégrée dans un monde globalisé. Elle doit y prendre sa place, toute sa place. Notre balise est un modèle de leadership panafricain enraciné dans l'esprit d'Ubuntu, de la solidarité de nos ancêtres et du rêve commun de nos enfants. Kwame Nkrumah disait : « The forces that unite us are intrinsic and greater than the superimposed influences that keep us apart”.
Je formule le vœu que l’esprit de Tana soit une des manifestations contemporaines de la vision de l’immortel champion du panafricanisme. C’est mon profond souhait pour ce Forum.
Je vous remercie de votre aimable attention.
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