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Allocution du Président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, à l'occasion de l'ouverture de la 40ème session du Conseil des Droits de l'Homme des Nations unies

Allocution du Président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, à l'occasion de l'ouverture de la 40ème session du Conseil des Droits de l'Homme des Nations unies

February 25, 2019

GENÈVE, LE 25 FÉVRIER 2019
Monsieur le Président du Conseil des droits de l’homme,

Mesdames et Messieurs les représentants des États membres,

Monsieur le Secrétaire général des Nations unies,

Madame la Haut-Commissaire,

Mesdames et Messieurs,

Il m’est doublement agréable de m’adresser à cette 40ème session du Conseil des droits de l’homme.

D’abord, parce qu’il s’agit pour moi d’une première depuis que je dirige la Commission de l’Union africaine.

Ensuite, parce que cette adresse me donne une nouvelle opportunité de réaffirmer l’attachement de l’Afrique à la protection et à la promotion des droits de l’homme, ainsi que son engagement en faveur des institutions multilatérales.

Je remercie le Président du Conseil, l’Ambassadeur Coly Seck du Sénégal, pour l’invitation qu’il a bien voulu m’adresser. Je lui souhaite plein succès dans l’accomplissement de son mandat.

Qu’il me soit aussi permis de remercier le Haut-Commissaire Michelle Bachelet. Son engagement est une source d’inspiration pour tous ceux qui militent en faveur d’un monde plus solidaire. Les entretiens que j’ai récemment eus avec elle à Addis Abéba me confortent dans la conviction que le partenariat entre l’Union africaine et les Nations unies, y compris le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme, ira en s’approfondissant. Je voudrais ici rendre hommage à son prédécesseur, Zeid Ra’ad al Hussein, pour les jalons posés sous sa mandature.

Mesdames et Messieurs,

Le Conseil des droits de l’homme accomplit un travail digne d’éloges. Que celui-ci souffre d’insuffisances ne fait guère de doute.

Mais ce constat ne saurait justifier la tentation extrême de vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est dans le cadre de structures multilatérales comme celle-là et en conjuguant nos efforts avec ceux d’autres acteurs, notamment la société civile, que nous pourrons réaliser des avancées concrètes.

Nous devons d’autant plus nous mobiliser au service des valeurs qui fondent notre humanité commune que l’époque est caractérisée par une montée de l’intolérance et du racisme. Face à la glorification des égoïsmes nationaux, la solidarité internationale ne cesse, hélas, de céder du terrain. Le multilatéralisme est soumis à des assauts répétés de la part de nombre d’acteurs.

Je voudrais exprimer ma gratitude au Groupe africain pour sa contribution collective au travail du Conseil des droits de l’homme.

Mesdames et Messieurs,

En matière des droits de l’homme, l’Afrique a une histoire à conter et une expérience à partager.

Leur promotion et respect occupent une place centrale dans l’agenda de l’Union africaine. Il existe, pour nous, une forte continuité entre le combat pour la libération du continent du joug de la domination coloniale et raciale et son combat pour la démocratie et les droits de l’homme.

C’est la raison pour laquelle notre Union, en harmonie avec ses textes fondateurs, a mis en place nombre d’organes chargés de la promotion et du respect des droits de l’homme. Qu’il s’agisse de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, basée à Banjul, de la Cour éponyme d’Arusha, du Comité d’experts sur le droit des enfants, à Nairobi, le but poursuivi est le même: doter notre Union d’outils institutionnels adéquats à même de faciliter la mise en œuvre des engagements pris par nos États membres.

À cet égard, les deux décennies écoulées ont été marquées par le renforcement significatif de notre arsenal normatif. Dans le sillage de la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples de 1981, plusieurs autres instruments ont été adoptés. Ils couvrent différentes facettes des droits humains: ceux des femmes, des enfants, des handicapés et des personnes âgées. L’élargissement, en juin 2014, de la compétence de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme pour lui permettre de connaître des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide procède de la même dynamique.

Ce socle institutionnel et normatif atteste de la ferme volonté politique de l’Afrique à promouvoir les droits de l’homme. Au fondement de notre démarche se trouve la conviction que l’entreprise de promotion des droits humains sur le continent doit être pleinement appropriée par les Africains.

Nous pouvons tirer une légitime fierté des pas accomplis.

La conscience et la culture des droits de l’homme ont immensément progressé à l’échelle du continent.

Les institutions mises en place jouent un rôle croissant et jouissent d’une influence grandissante.

Sur le terrain, cette problématique est devenue une composante à part entière de notre action, ainsi que le montre le déploiement d’observateurs des droits de l’homme en différentes parties du continent.

Malgré ces avancées, de nombreux défis restent à surmonter.

Les actes de violence indicibles perpétrées contre les populations civiles au Soudan du Sud et en République centrafricaine, la prégnance du terrorisme en Somalie, dans le bassin du Lac Tchad et dans le Sahel, ainsi que le traitement ignoble infligés aux migrants africains en Libye par des acteurs non étatiques, sont autant de rappels tragiques du long chemin qui reste encore à parcourir.

Pour faire face à ces défis, nos efforts s’articulent autour trois axes.

D’abord, encourager l’accélération du processus de ratification par nos États membres des instruments africains et internationaux pertinents.

Ensuite, renforcer la capacité de nos institutions. Je salue à cet égard l’appui pratique que nous apporte le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, tout comme au demeurant le soutien de l’Union européenne.

Enfin, intensifier les efforts de règlement des conflits qui affligent le continent, lesquels sont une source de graves violations des droits de l’homme. C’est ici pour moi l’occasion de me féliciter à nouveau de l’accord de paix récemment signé en République centrafricaine.

Mesdames et Messieurs,

Rien n’illustre mieux l’urgence d’efforts renouvelés pour la défense des droits humains que l’acuité des déplacements forcés en Afrique. Comme vous le savez sans doute, l’Union africaine a décidé de consacrer l’année 2019 à la thématique des réfugiés, des personnes déplacées et des rapatriés. L’objectif est de susciter une mobilisation renforcée au niveau du continent pour en finir avec ce fléau.

Cette année doit être d’autant plus décisive sur ce plan que 2019 marque le cinquantenaire de la Convention de l’OUA sur les aspects spécifiques au problème des réfugiés en Afrique et le dixième anniversaire de la Convention de Kampala sur les personnes déplacées internes.

Dans ce contexte, il me semble indiqué de rappeler à nos partenaires les obligations qui sont les leurs en matière d’asile et, plus globalement, en qui concerne le traitement des migrants. L’érosion continue du statut de ces catégories a sérieusement entamé la crédibilité de leurs proclamations en faveur des droits de l’homme.

Je ne peux ici que réitérer la profonde préoccupation de l’Union africaine face au refus de certains pays de se joindre au Pacte mondial sur les migrations, alors même que ce document, à caractère non contraignant, reflète un consensus minimal.

À l’inverse, je relève, pour m’en féliciter, l’étroite coopération entre l’Union africaine, l’Union européenne et l’Organisation internationale des migrations, pour aider au rapatriement des migrants africains bloqués en Libye.

Mesdames et Messieurs,

Il est un aspect particulier de la problématique des droits de l’homme que je voudrais mettre en relief. Il s’agit de la relation entre la quête de la paix et de la réconciliation, d’une part, et celle de la justice, de l’autre. Je l’évoque parce que l’approche de l’Union africaine a suscité des interrogations et que certains en sont venus à douter de l’attachement de l’Afrique à la lutte contre l’impunité, bien que celle-ci figure au titre des principes énoncés par l’Acte constitutif de notre Union.

Certains acteurs non-africains – organisations de la société civile et gouvernements - s’en tiennent à une conception restrictive de la lutte contre l’impunité.

Or, dans le contexte des guerres civiles africaines, qui souvent mettent aux prises des communautés entières, donner un primat absolu à la justice criminelle, s’enfermer dans le dogme d’une justice aveugle et détachée de tout contexte revient, en fait, à perpétuer la violence et, partant, les atteintes aux droits humains.

Ne devrions-nous nous pas, dès lors, nous poser la question sur la distinction à établir entre violence politique et violence criminelle ? Pour ignoble et exécrable qu’elle soit, la violence politique ne saurait être traitée avec les mêmes instruments que la violence criminelle.

Dans l’approche de l’Union africaine, paix et réconciliation, d’une part, et justice, de l’autre, doivent être poursuivies de manière mutuellement complémentaire. Il ne s’agit pas de promouvoir l’impunité, mais de répondre à l’impératif de justice sans pour autant sacrifier la quête de la paix.

L’adoption par le Sommet de notre Union qui vient de se conclure à Addis Abéba d’un document-cadre sur la justice transitionnelle s’inscrit dans le cadre de cette démarche.

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes à une étape cruciale de notre histoire. La montée de l’intolérance augure d’une sombre évolution des rapports humains. Les attaques répétées contre les institutions multilatérales et leur affaiblissement compromettent gravement nos chances de relever les défis pressants qui nous assaillent.

Les circonstances présentes appellent une mobilisation accrue pour défendre les valeurs que nous jugeons universelles.

Pour être crédible et efficace, cette mobilisation doit se donner pour cadre les institutions multilatérales. Elle doit être fondée sur des principes. Elle doit se garder de prêter le flanc aux accusations d’instrumentalisation de la défense des droits de l’homme pour en faire un outil de pression politique quand les intérêts du moment le dictent et s’en détourner lorsque d’autres considérations l’exigent.

Je vous remercie de votre aimable attention.

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